Je publie si dessous une intéressante analyse du texte sur l’ANI (accord national interprofessionnel dit accord de Wagram ou accord MEDEF-CFDT) réalisée par mon ami (et camarade) Michel Jallamion pour République et Socialisme.
Par ailleurs, je vous invite à LIRE cet « ANI » : j’ai remarqué que beaucoup en parlent sans l’avoir lu…
4 BONNES RAISONS DE SE LANCER DANS LA BATAILLE CONTRE L’ANI
La crise oblige les libéraux à justifier le système capitaliste. Ils n’y parviennent pas et redoublent donc de violence de la Grèce au Portugal. En France ils se sont ressaisis avec le rapport Gallois et repassent aujourd’hui à l’offensive avec l’accord national interprofessionnel (ANI) pour la compétitivité et l’emploi signé le 11 janvier entre le patronat et des organisations syndicales représentant moins d’1/3 des salariés.
L’avant projet du gouvernement transmis au Conseil d’Etat, sous fond de cri d’orfraie du MEDEF, lundi 11 février en est très largement sa retranscription. Elle tente de mettre en avant quelques « concessionnettes » patronales (1) alors qu’il s’agit de la retranscription de la plus grande victoire idéologique des libéraux depuis 1983.En voici les 4 grands principes.
1°) Ne pas prendre 1 euro au patronat…
L’article 7 augmente symboliquement la cotisation chômage des CDD inférieurs à 3 mois – hors intérim et remplacements- de 0,5 à 3 %. Même anecdotique, augmenter les cotisations plutôt que d’exonérer est sympathique. Sauf que justement cette augmentation sera largement compensée par une exonération prévue dans le même temps pour les entreprises embauchant des jeunes… celle-ci ne fait même pas semblant d’être incitative puisqu’elle est de 3 mois pour les grandes entreprises et de 4 mois pour les PME. En quoi amorce-t-elle une solution au chômage de masse des jeunes et à leur surqualification?
Pire lorsque le patronat « accepte » le compte personnel de formation(2) c’est pour le faire relever du « service public de formation ». Le salarié acquiert un nouveau droit (3) : se renseigner lui-même sur son adaptabilité au marché sur denier public. L’employeur n’est même pas tenu d’accepter l’ouverture par le salarié de son compte de formation sur ses heures de travail.
2°)…. Sauf pour remettre en cause l’idée de la sécurité sociale généralisée.
L’article 1er permet l’accès de tous les salariés à une couverture maladie complémentaire d’ici 2016. Le seuil sera établi par un décret dont nous ne savons rien. De plus que devient la sécurité sociale ? Que devient l’idée qu’elle devrait rembourser l’ensemble des dépenses de santé courantes ?
Pour quelles raisons le patronat accepte de financer une complémentaire santé au lieu d’augmenter les cotisations patronales sans diminution des salaires nets afin de permettre un meilleur remboursement pour toutes et tous ? La réponse est simple : une réforme systémique de la Sécu est exigée par l’Europe et le gouvernement la prépare. Pour la fin de la sécu les patrons sont près à mettre (en partie) la main à la poche.
3°) Faire assumer au salarié le risque pris par les détenteurs de capitaux.
Cet avant-projet à vite fait de trouver une solution miracle contre les licenciements, c’est toujours la même : baisser les salaires et pressuriser les salariés !
Si l’entreprise va mal, un accord d’entreprise pourra ainsi décider la baisse des salaires, c’est l’article 12 ! Nous sommes au cœur de la logique : c’est la légalisation du chantage actuel « soyez licencié ou acceptez une baisse de salaire » . L’article indique qu’il est souhaitable qu’un effort « équitable » de l’encadrement et des actionnaires soit également prévu. Mais si un réel rapport de force existait pour imposer cela, il serait suffisant pour que 50% de la représentation du personnel refusât de signer l’accord.
Question : qu’arrive-t-il si après quelques mois du même travail pour moins d’argent (pas plus de 2 ans rassurez-vous !) le patron ne peut « tenir son engagement de maintien dans l’emploi » ?
Réponse : le salarié touchera les indemnités prévues par l’accord, certainement mirobolantes !
Comment un gouvernement de gauche peut-il décemment présenter cette mesure atroce comme alternative au licenciement ? Comment peut-il appeler cela des «accords de maintien dans l’emploi » ?
Cerise sur le gâteau le patronat obtient la pressurisation des salariés même quand tout va bien. L’article 10 prévoit que des accords d’entreprises triennaux devront définir une mobilité interne par changement de poste et/ou de lieu : si le salarié refuse, son licenciement sera prononcé pour motif personnel… mais il bénéficiera de mesures de reclassement prévu par l’accord!
En période de crise il s’agit là d’un moyen commode de se débarrasser d’éléments perturbateurs. Désormais un salarié signera un contrat pour occuper un poste… d’où il devra partir si l’employeur le souhaite !
Avec cet accord ce n’est pas aux capitaux de s’adapter à la conjoncture, par exemple en investissant pour rénover ou restructurer un appareil productif, mais aux salariés.
Pour compléter le tableau l’article 8 sur l’encadrement du temps partiel fixe la durée hebdomadaire minimale à 24H00 et la première heure supplémentaire sera augmentée de 10%. C’est bien MAIS … sauf accord de branche… ou demande écrite et motivée du salarié. Là aussi en période de crise, cela n’est pas très dur à obtenir par l’employeur !
Si nous cherchions la petite bête nous pourrions même craindre que l’article 3 qui « permet au x salariés (4) un parcours externalisé de 2 ans » pourrait être commode pour externaliser sa main d’œuvre excédentaire, l’accord du salarié n’étant là aussi pas très difficile à obtenir.
4°) la loi après le contrat ou comment livrer le salarié au patronat.
Loin de revenir sur l’inversion des normes, la logique du texte est de laisser les « acteurs sociaux » décider au niveau de la branches mais, encore pire, entreprise par entreprise. C’est la fin de l’idée d’égalité républicaine. C’est la fin de l’idée de la solidarité ouvrière. Exit la conception rousseauiste de considérer la loi du plus fort comme un oxymore : la loi ne fait plus qu’encadrer un processus de négociation qui fatalement n’exprimera que le rapport de force en faveur des détenteurs de capitaux. Pire, le texte exige un accord dans les situations critiques, là où il n’existe plus de marges de négociations syndicales. La seule liberté laissé au salarié est d’accepter l’accord ou subir un licenciement économique quand ce n’est pas un licenciement pour raison personnel.
Existe-t-il un seul bon article efficace dans l’ANI ? Peut-être, l’article 13 censé remettre en place une autorisation administrative de licenciement. Ce n’est pas rien. Mais le problème est qu’il est tellement important que le ministère du Travail affirme répondre ainsi à la préoccupation des salariés et du candidat Hollande de lutter contre les licenciements dits boursiers. La messe est dite.
Cet article vaut pour solde de tout compte. Mettre en place un outil administratif pour « apprécier le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi au regard des moyens de l’entreprise » voici tout ce qui resterait de la lutte contre le monde de la finance promise par le candidat Hollande!
Nota :
(1) En sus des trois grands axes mis en avant évoqués dans l’article (nouvelle autorisation administrative de licenciement, ouverture de la mutuelle complémentaire et encadrement des temps partiels) nous devons citer la nomination de représentants syndicaux dans les conseils d’administrations (limité aux entreprises ayant plus de 10 000 salariés à l’international ou plus de 5000 en France), le temps partiel réglementé (dérogations multiples possibles), la portabilité couverture santé- prévoyance (quelques mois d’allongement ) et des jours de formation et de chômage (principe prévu à l’article 6 mais aucun contenu. L’accord, lui, fait référence à l’équilibre des comptes de l’assurance chômage qui ne doit pas être remis en cause par cette mesure) .
(2) article 2 de l’avant-projet instituant l’article L 6111-1 du code du travail
(3) spécifié par le nouvel article L6314-1 de Code du Travail
(4) dans les entreprises de plus de 300 salariés ; il s’agit d’un quasi-équivalent d’un détachement dans le public.