La mort de Jacques Delors offre l’occasion de revenir sur la domination -que nous espérons temporaire- de l’ultralibéralisme qui dirige la vie économique et sociale de notre pays et de toute l’Europe occidentale depuis, au moins, Maastricht.
Au milieu des effarants hommages rendus à Delors, je retiens ces quelques lignes de notre amie et adhérente, Françoise Dal, ancienne conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais : « Martine Aubry a perdu son papa et, quel que soit son âge, c’est toujours très triste de perdre son père ; je lui adresse mes sincères condoléances. Jacques Delors a ouvert la parenthèse libérale du premier gouvernement Mauroy en 1983 : elle n’a jamais été refermée depuis. C’était un fédéraliste européen acharné qui a milité pour le oui à la Constitution européenne en 2005, reprise dans le traité d’Amsterdam voté par les parlementaires en 2007 alors que le peuple français l’avait largement rejetée. C’était un vrai libéral … à mes yeux pas un homme de gauche… »
Je parlais « d’effarants hommages ». En effet que dire de l’hommage national qu’a rendu Macron a celui qui est à la source, à la tête de la Commission des communautés européennes et en promulguant l’Acte unique en 1986, de l’ouverture des frontières et de la libre circulation des marchés et des capitaux au sein d’une nouvelle Europe qui nie l’intérêt des Nations protectrices des Peuples. Il est, par cela, à l’origine de la désindustrialisation de notre pays et en conséquence, du déclassement des classes moyennes et de la paupérisation des classes populaires. Sa « victoire » se concrétisera, en 1992, par le traité de Maastricht qui fait de l’Europe une communauté supranationale niant la souveraineté des Peuples et ouvre la voie à la monnaie unique calquée sur le mark allemand.
On ne peut pas reprocher à Delors d’avoir été fidèle à lui-même ! Sa famille politique, c’est la démocratie chrétienne (à l’allemande ?). D’abord membre du MRP, il naviguera ensuite dans le marais du centre-gauche. Conseiller de Jacques Chaban-Delmas sous Georges Pompidou, il rejoindra la droite du PS aux côtés de Rocard. Il participera largement à l’échec de la gauche de ce parti et parviendra à convaincre Mitterrand de changer de politique et de se convertir à la rigueur économique en 1983.
Au fond, il ne faut pas s’étonner du vibrant éloge de Macron pour le fervent européïste : il en est son digne héritier. Mais, il n’est pas sûr que les salariés français apprécient « La libre circulation des personnes et des biens, des services et des capitaux, le marché unique » ou bien « l’euro dont il pose les bases », ou « la Banque centrale européenne » échappant au contrôle des Peuples mais pas aux intérêts du patronat. Ces mêmes salariés cherchent vainement « l’Europe du dialogue social réconciliant patronat et syndicat (!!!?). Toujours selon Macron, Jacques Delors aurait pris « contre l’inflation des mesures difficiles mais efficaces » comme la « fin de l’indexation des salaires sur les prix et des restrictions budgétaires ». Difficiles pour qui ? Efficaces pour quoi ? Il s’agirait là d’une « œuvre de réconciliation ». Réconcilier « la France (des privilégiés) avec l’Europe (libérale) » sans doute, les Français avec leurs dirigeants sans doute pas ! Quant à « l’Europe de la croissance et de la solidarité », on a beau savoir que, lors des hommages, on raconte n’importe quoi, là, on se demande sur quelle planète vit Macron.
Pas un mot sur nos usines délocalisées aux 4 coins du monde, pas un mot sur le démantèlement de nos services publics, pas un mot sur les salaires bloqués, pas un mot sur le droit du travail réduit, pas un mot sur le chômage de masse qui dure, pas un mot sur l’appauvrissement général de l’extrême majorité des Français et sur l’enrichissement des privilégiés au détriment de la richesse collective…
Ce qui est plus inquiétant, c’est le concert de louanges tenu par une partie du PS. Ont-ils oublié, ceux-ci, au nom d’une appartenance supposée à une bienheureuse Europe mythique, que Delors est un des principaux artisans de la conversion du PS au libéralisme sauvage et, par là-même, du discrédit dont ce parti est toujours l’objet dans une grande partie de l’électorat de gauche ? C’est sous l’impulsion du « delorisme » que le PS au pouvoir a dérégulé comme jamais dans son histoire et comme nulle part ailleurs ! Il n’y a plus de socialistes au PS -ils sont tous partis dans la nature ou, divisés, ont créé de petits partis- mais il y reste de vrais socio-démocrates. Il serait temps qu’ils se réveillent ; ils en avaient, en ordre dispersé, montré quelques signes, entre autres en évoquant la nécessité de tenir un bilan de la gauche au pouvoir. Ceci aurait entrainé une analyse salutaire de l’européïsme béat qui a envahi les esprits. Hélas, on peut craindre, quand, par exemple, on envisage le recours à Glucksman comme tête de liste à l’élection européenne, que ce soit les socio-libéraux qui relèvent à nouveau la tête…
Pendant ce temps, au moment où j’écris ces lignes, Macron pense à remanier son gouvernement. Avec Borne ou sans Borne, that is the question. Question dont, comme la majorité des Français, je me moque : quel que soit le locataire de Matignon -les paris donnent Attal-, Macron ne changera pas sa politique.
En ce début d’année, je nous souhaite un grand mouvement républicain social et laïque, un pays mobilisé non seulement pour empêcher Macron de détruire plus encore les acquis dont nos anciens sont à l’origine mais aussi pour reconstruire cette gauche absente et dont nous avons tant besoin.
Bonne année, militante donc, à chacun de vous.