J’ai voulu laisser passer le temps des insultes (cf facebook !) pour exprimer ce que je pensais aujourd’hui de la campagne, du scrutin et de l’avenir. Mais est-ce le cas ? Après tout peu importe !
Merci Fabien Roussel !
Avec ces quelques lignes je voudrais dire mon bonheur de n’avoir jamais fait une campagne en étant aussi proche du programme proposé et de l’expression du candidat.
Je remercie Fabien Roussel, pour son endurance et son courage durant la campagne, toute la richesse qu’il a apportée au débat. Sa candidature a contribué à rajouter des voix à gauche, à aller chercher de nouveaux électeurs qui ne se seraient sans doute pas déplacés pour aller voter dimanche dernier.
Cela s’est vérifié dans histoire : la gauche est plus forte dans la diversité des idées et par les débats « par le haut » qu’elle peut susciter, cela n’a rien à voir avec le nombre de candidatures. Fabien Roussel a, sans hystérie et sans anathème – ce qui n’est pas le cas de tous, occupé une part de l’espace médiatique, du temps de parole supplémentaire de discours à gauche arraché aux éternels débats de la pensée unique économique et des thèmes identitaires, cela nous a fait du bien, et cela a contribué à ancrer les questions sociales dans les débats.
Les reproches qui lui sont adressés, à lui et à d’autre candidats, d’être responsable de l’absence d’un candidat de gauche au second tour sont infondés. Cela relève au mieux d’une méconnaissance des mécanismes et des dynamiques électorales en jeu, au pire, d’une ligne assumée prônant l’existence d’un nombre réduit de candidats et de partis politiques en France au service d’une vision hégémonique de quelques-uns. Poussé à l’extrême, cela conduirait d’ailleurs au système caractéristique des Etats-Unis où seul 2 partis se présentent et peuvent accéder au pouvoir, 2 choix possibles uniquement : le paradis du vote utile où le pauvre Bernie Sanders en est réduit à soutenir Biden pour éviter Trump. En France, c’est une vision qui n’est pas nouvelle, déjà en 2007 le PS et sa candidate Ségolène Royal reprochaient aux autres formations de gauche la multiplicité des candidatures brandissant le risque d’un nouveau 21 avril 2002, et déjà on était prié de justifier notre existence, ne pas trop faire campagne et ne pas trop se montrer (qui donc Ségolène Royal a-t-elle soutenu cette fois ?).
Mais surtout ce reproche traduit une méconnaissance des dynamiques de votes : reprocher à Fabien Roussel ses 800 000 voix, c’est refuser de voir par exemple les 12 millions d’inscrits qui se sont abstenus et que personne n’a réussi à convaincre, et surtout, les 10 millions de voix supplémentaires qui votaient jadis à gauche et qui votent aujourd’hui LREM ou RN. C’est aussi ne pas comprendre que les votes ne s’additionnent pas forcément avec des électorats qui ne se recoupent pas parce que les offres politiques ne sont pas les mêmes. Par exemple je ne voterai jamais pour quelqu’un qui propose de fiscaliser la sécurité sociale d’Ambroise Croizat, qui considère que la Corse peut bien acquérir son autonomie (alors pourquoi pas la Bretagne !), qui se fait soutenir par les fascistes « Frères musulmans » ou qui est l’ami de Poutine (sauf quand ça devient difficile électoralement). Bref, additionner ces électorats est aussi pertinent que de vouloir augmenter la fréquentation d’un festival de rock, en regroupant tous les groupes de musiciens dans une seule et même scène, les faire jouer ensemble dans un seul et même groupe, et ainsi s’imaginer que les publics qu’ils auraient rassemblés chacun d’entre eux dans des concerts uniques, s’additionneraient … c’est une vision vraiment naïve … en musique, comme en politique.
Ce refus de voir cette réalité en face est une forme d’auto-défense que les psychologues connaissent bien chez les individus, le refus de voir un problème plus profond et plus difficile à résoudre pour lequel il est bien plus commode de trouver une explication facile afin que ce soit plus supportable à vivre, et souvent il est alors plus commode de rejeter la faute sur les autres et de trouver des coupables (surtout si en plus ils soutiennent un communiste…).
La seule question qui vaille d’être débattue est la suivante : pourquoi la gauche plafonne-t-elle à 25-30% alors que dans un passé récent elle atteignait le seuil des 50% et pouvait même espérer gagner une telle élection ?
On remarquera qu’au fil des années il y a un glissement dans les ambitions affichées : il ne s’agit plus de gagner les présidentielles, mais simplement d’accéder au 2ème tour, afin, nous dit-on, de mettre en débat pendant 2 semaines supplémentaires entre les deux tours donc, des propositions de gauche. En effet, nous savons tous compter, avec 29-30% en réserve de voix au second tour pour la gauche, il n ‘y a rien à espérer de plus que ces 2 semaines de sursis : il est en effet impossible de remporter le second tour avec 30% et environ 20 millions de votes qui manquent. On retrouve ce déni face à un problème plus profond, et l’explication facile de la désignation du coupable qu’est la pluralité en politique.
Au contraire, en insistant sur beaucoup de sujets que la gauche avait délaissés, Fabien Roussel a pu apporter une vision originale comme le mix énergétique alliant nucléaire et renouvelable, la tranquillité publique, la métropolisation qui tue la ruralité, le rapport à la République, à la laïcité, à la liberté d’expression, défendant un vivre ensemble respectant les différences sans les institutionnaliser. Une candidature à gauche qui n’a pas laissé tous ces sujets comme un monopole de la droite : j’ai reçu beaucoup de messages spontanés de citoyens en dehors de mon cercle militant je précise, me disant qu’il désespérait de voir un jour un candidat de gauche défendre le nucléaire, et qu’ils en avaient marre d’être catalogués à droite, voir extrême droite dès lors qu’ils se déclaraient favorables à cette énergie, ou défendant la laïcité, et qu’ils étaient contents d’entendre Fabien Roussel dans les médias aller dans ce sens. Et surtout cela n’a pas été un candidat social-démocrate de plus, il a proposé une transformation en profondeur du système économique, contestant les pouvoirs exorbitants de la finance et des entreprises, proposant concrètement de nouveaux pouvoirs d’interventions aux salariés, une refonte et un renforcement des services publics, une tout autre logique économique loin d’un simple aménagement par de la fiscalité ou une relance de type keynésienne. Il a parlé comme aucun candidat ne l’a fait, du monde du travail, de l’industrie, de la science, de la recherche, parce que venant d’un territoire victime de la désindustrialisation et aussi par ses nombreuses rencontres dans les entreprises dans toute la France.
En ce sens Fabien Roussel a tracé une voie à suivre pour la gauche pour qu’un jour on n’entende plus jamais que la majorité des employés, techniciens et ouvriers ont voté RN lors de tel ou tel scrutin.
S’il manque 15 à 20 millions de voix à la gauche, c’est bien par l’incapacité de la gauche à parler au monde du travail, à travailler correctement avec les syndicats, à avoir un discours crédible sur un tas de sujets. C’est aussi par l’acceptation du communautarisme et sa mise en scène alors que notre peuple est profondément laïque et citoyen. Et c’est un problème bien plus ardu qu’un simple jeu d’arithmétique électoral.
Pour terminer il faut évoquer cette spirale du vote utile qui a tout emporté les 2 dernières semaines, jusqu’aux dernier jours et qui a siphonné les candidats de gauche au profit d’un seul. On a observé le même phénomène à l’extrême droite et à droite. Des enquêtes d’opinion confirment ce qu’on a ressenti sur le terrain avec de nombreux témoignages de gens nous disant qu’ils allaient voter pour le candidat de gauche le mieux placé dans les sondages, quand bien même ils auraient volontiers voté pour notre candidat Fabien Roussel si seul le critère du vote de conviction prévalait. Les électeurs sont cadenassés dans un système électoral à 2 tours et avec cette difficulté nouvelle qui s’ajoute depuis 10 ans d’un affaiblissement général de la gauche où la présence au second tour n’est même plus acquise. Ils en sont réduits à voter sur un critère de stratégie et moins de conviction et cherchent désespérément une issue à cette situation. On le voit d’ailleurs à la déprime générale ambiante, bien avant les résultats du premier tour. Ce n’est pas sain comme fonctionnement démocratique. Et je ne pense pas qu’on résoudra le problème durablement par une simple pirouette électorale, mais par un travail de fond de reconquête d’un électorat populaire, pour que cette question de vote prétendument utile ne puisse plus « squeezer » la démocratie.
Maintenant il reste à enrichir ce compagnonnage avec un PCF, qui aux côtés de Fabien Roussel, a abandonné les errances populistes et communautaristes pour se réapproprier la République et la laïcité en mettant le social, le service public, l’emploi et le salaire au cœur.
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