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Ce texte qui date de 2018 me semble plus que jamais d’actualité

MÈRES ACCOMPAGNATRICES VOILÉES :

POURQUOI IL FAUT ETRE FERME

         Par Fatiha BOUTJAHLAT

 

La comparaison est saisissante. D’un côté, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) communique sur une grande victoire : le rectorat de Créteil désavoue la direction d’un établissement scolaire en autorisant une mère voilée à accompagner une sortie scolaire. De l’autre, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, qui incarne la défense de la laïcité dans un gouvernement multiculturaliste, dans une réponse orale au Sénat le 19 avril 2018, « recommande » aux directeurs d’école et chefs d’établissement de « recommander » aux parents accompagnateurs la neutralité, s’appuyant « sur un avis du Conseil d’État de 2013 ». La recommandation n’a aucune valeur juridique, contraignante, mais correspond à l’air mièvre et lâche ambiant.

Alors avant de rappeler encore et encore les erreurs et mensonges sur la position du Conseil d’État, qui n’est pas le bon Dieu non plus et dont De Gaulle écrivait qu’il était un « corps, composé de fonctionnaires, qui tiennent leurs postes de décrets du gouvernement et non point d’une élection quelconque, est qualifié pour donner au pouvoir exécutif les appréciations juridiques qui lui sont demandées mais nullement pour intervenir en matière politique, ni à plus forte raison dans le domaine constitutionnel », nous devons dire pourquoi il faut exiger la neutralité des accompagnateurs de sortie scolaire qui ne se réduisent pas à ces émouvantes mamans voilées tellement plus disponibles que leurs époux – neutralité qui ne se limite pas au domaine religieux.

 Assumer la fermeté, quitte à supprimer les sorties

Un arrêt important (Tribunal administratif de Montreuil du 22 Novembre 2011) rappelle que « l’accompagnement des sorties scolaires par les parents d’élèves ne constitue pas un droit ». C’est une opportunité. Or les activistes islamistes en font un casus belli pour normaliser le port du voile comme pratique culturelle ordinaire. La neutralité exigée de ces collaborateurs occasionnels, d’ailleurs couverts par l’assurance de l’école, ne pouvant fumer ou boire durant ces sorties, est aussi politique. Si ces parents ne sont plus soumis à la neutralité, ils pourront venir avec des T-Shirt génération identitaire, FN, comportant des slogans politiques de tout bord, religieux ou publicitaires.

 « Il faut poser comme principe que l’Éducation Nationale est un service public particulier. »

 La réglementation ne vise pas les femmes voilées. La nouvelle orthopraxie islamiste entre en contradiction avec la réglementation et l’intérêt des enfants. Il faut poser comme principe que l’Éducation Nationale est un service public particulier. Et créer un statut particulier pour les parents accompagnateurs.

 Il n’est pas anodin que le rectorat de Créteil ait cédé. Quand les territoires sont à ce point devenus des ghettos ethniques et sociaux, exiger des accompagnateurs neutres, c’est compromettre les sorties. La rédactrice en chef du Bondy Blog, Nassira El Moaddem, s’alarmait de ce que les élèves d’une école d’un quartier en difficultés fussent les seuls à ne pas faire de voyages scolaires. Mais comment ne pas comprendre les enseignants et les directeurs d’école, soumis à une prolifération d’injonctions de la part des parents, sur les repas, la mixité, les activités ?

Dans ces quartiers, il faut assumer de ne pas faire de sorties scolaires plutôt que de banaliser une ultra-orthodoxie qui subordonne les femmes. Ou alors faire appel aux pères, qui existent aussi, du moins à ceux qui ne refuseront pas de regarder dans les yeux ou de serrer la main des enseignantes – pourquoi accepter une forme de radicalité religieuse, et pas l’autre, le refus de serrer la main des femmes, qui concernent toutes deux aussi bien l’islam que le judaïsme ? Ou que les mairies délèguent du personnel. Une sortie n’est pas une simple promenade : elle est d’abord et toujours pédagogique, et le plus souvent porteuse d’ouverture culturelle.

Rappelons cette idée développée par un penseur du multiculturalisme, Brian Barry : les croyances religieuses et le choix d’une orthopraxie relèvent du libre-choix des individus. C’est ce que ces derniers ne cessent de clamer. Soit : qu’ils en tirent les conséquences : il n’y a pas d’inégalité, de racisme d’État, d’injustice, quand le non accès à une ressource ou à une opportunité (économique, politique, de loisir ou une sortie scolaire) découlent de l’adhésion volontaire à cette ultra-orthodoxie.

 « Quel enseignement une maman voilée qui accepterait d’enlever son voile le temps d’une sortie scolaire transmettrait-elle aux enfants ? Que l’on n’en meurt pas. Que l’on est tout autant musulmane sans, et que la foi ne se réduit pas au voilement. »

C’est au pratiquant d’assumer les conséquences de son choix. Ce n’est donc pas à la société de s’adapter à ces demandes particulières. N’inversons pas les responsabilités. Ce sont les orthodoxes religieux qui seront responsables de l’abandon des sorties scolaires. Et pas seulement au nom du respect de la religiosité, mais parce qu’un bras de fer est organisé contre notre modèle d’État-Nation.

Le voile se banalise et se normalise. Une amie directrice d’école primaire a ainsi entendu des élèves de maternelle reprocher à une de leurs camarades le fait que sa mère ne portait pas le voile : « Ta mère n’est pas une vraie maman ». Mesurons ce que ces propos d’enfants disent de la régression en cours. Ma nièce, métisse, d’un père musulman très orthodoxe, a été pareillement moquée par ses camarades en CM ; elle est venue demander à sa mère, chrétienne, si elle voulait bien arrêter de l’embarrasser et accepter de porter le foulard.

Ces jeunes enfants d’une école toulousaine eux vont plus loin : le foulard n’est plus lié à une pratique religieuse orthodoxe, mais c’est un marqueur, non pas de féminité comme l’affirmait R. Diallo, mais de maternité ! Quel enseignement une maman voilée qui accepterait d’enlever son voile le temps d’une sortie scolaire transmettrait-elle aux enfants ? Que l’on n’en meurt pas. Que l’on est tout autant musulmane sans, et que la foi ne se réduit pas au voilement. Que l’école est un espace et un moment particulier. Que les sorties scolaires sont des moments particuliers. Et que l’intérêt de tous les enfants dépasse, non pas la foi, toujours honorable et légitime, mais une pratique rigoriste.

Qu’elles refusent de l’enlever installe dans l’esprit des enfants que l’on n’est pas une femme et une mère respectable sans, que la seule manière de pratiquer l’islam est l’orthodoxie ou l’ultra-orthodoxie. Que les femmes qui ne font pas ce choix sont différentes, à part. La norme s’installe. La pression s’installe. La primauté du religieux s’installe. Qu’attendre alors de ces enfants ainsi cylindrés, une fois adultes ? Quel rapport au règlement d’une entreprise ?

« Des infirmières seront diplômées mais inemployables par les hôpitaux, sauf à ce que ceux-ci aussi s’adaptent à leurs demandes. »

Une formatrice en école d’infirmières m’a confié il y a quelques mois que la victoire du CCIF, devant le Conseil d’État encore une fois, permettant aux étudiantes de porter le foulard s’était traduit par des conséquences graves : ces filles voilées pas par mode mais par piété orthodoxe, refusaient de faire la toilette des hommes hospitalisés. Elles refusaient d’assister aux cours sur la sexualité et sur les maladies sexuellement transmissibles. Le foulard n’est pas un accessoire de mode, le CCIF l’a écrit : « un signe religieux n’est en rien comparable à un banal couvre-chef ou à un accessoire de mode tel qu’un bonnet ou une casquette. En effet, il s’agit de la manifestation extérieure d’une conviction religieuse, (…), [le port du foulard] est reconnu comme signe religieux… ».

J’ai répondu à cette formatrice qu’il suffisait de ne pas leur donner les diplômes. Elle m’a affirmé que c’était impossible, sa directrice ayant trop peur d’un procès du CCIF. Ainsi, des infirmières seront diplômées mais inemployables par les hôpitaux, sauf à ce que ceux-ci aussi s’adaptent à leurs demandes. C’est sans fin. Et cela commence toujours par la lâcheté des politiques.

 Étude et pas avis !

Le fameux « arrêt » du Conseil d’État de 2013 n’en est pas un et n’est donc pas contraignant : c’est une étude que le Défenseur des droits Dominique Baudis avait sollicité « sur diverses questions relatives à l’application du principe de neutralité religieuse dans les services publics ». Or, les conseillers rappellent qu’il s’agit d’une étude, qui n’a pas la valeur légale ou coercitive d’un arrêt (rendu dans le cadre de la juridiction administrative) ou même d’un avis (adressé comme conseiller du gouvernement).

Il est même précisé en page 9 que « La présente étude, purement descriptive, n’a par conséquent pour objet ni de dresser un panorama de la laïcité, ni de proposer des évolutions, quelles qu’elles soient, mais de dresser un constat du droit en vigueur ». Or, ce droit est bien pauvre, ce que relevait déjà le rapport de la Commission Stasi : « Le corpus juridique en matière de laïcité est plus réduit que ce que l’on pourrait croire. (…) Depuis la Constitution de 1946, le principe de laïcité a acquis une valeur constitutionnelle. L’article de la Constitution de 1958, reprenant l’article 1er de la Constitution de 1946, affirme ainsi que « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La laïcité a donc été haussée au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes. Mais au niveau constitutionnel, le principe de laïcité n’a pas fait l’objet d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel aussi abondante que pour la liberté de conscience et d’opinion, ce qui laisse d’autant plus de liberté aux interprétations nouvelles et aux conseillers d’État.

 « C’est aux législateurs d’assumer un choix politique fondamental, pas à des hauts-fonctionnaires d’une juridiction administrative. »

 Le seul texte réglementaire qui prévaut à l’école reste la circulaire du ministre Luc Châtel. Et non, une circulaire ne devient pas obsolète avec les vacances d’été. Elle reste valable tant qu’elle n’est pas remplacée ou abrogée. La circulaire n° 2012-056 du 27-3-2012 du ministre Luc Châtel stipulait que « La laïcité est un principe constitutionnel de la République (…). Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ».

Cette circulaire est restée valable sous Vincent Peillon qui affirme comme nouveau ministre que la circulaire Châtel « reste valable », et plus loin « Ainsi, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, ils doivent faire preuve de neutralité dans l’expression de leurs convictions, notamment religieuses. C’est ce qu’indique la circulaire du 27 mars 2012… ». Le ministre Blanquer évoque assez timidement l’utilité d’un arrêt ou d’un texte de loi. Or c’est aux législateurs d’assumer un choix politique fondamental, pas à des hauts-fonctionnaires d’une juridiction administrative. Nous attendons au moins une circulaire, au mieux une loi. Parce que les directeurs d’école sont laissés seuls face aux difficultés des territoires dans lesquels leurs écoles sont situées. 

« Cette étude signale surtout une carence juridique dont pourrait se saisir un parlementaire ou un ministre. »

 Que dit cette étude ? Bien avant Emmanuel Macron, elle pose le principe du « en même temps ». Cette étude énonce en page 11 que « Même si de nombreuses personnes, qui peuvent ne pas être les agents du service public, sont parfois amenées à collaborer ou à participer à ce service, ni les textes, ni la jurisprudence n’ont identifié une véritable catégorie juridique des collaborateurs ou des participants au service public, dont les membres seraient soumis à des exigences propres en matière de neutralité ». On comprend alors que les parents accompagnateurs sont des usagers du service public non soumis à la neutralité religieuse.

Cette étude signale surtout une carence juridique dont pourrait se saisir un parlementaire ou un ministre : « Il n’existe pas de catégorie juridique pertinente entre l’agent et l’usager et dont les membres seraient soumis à cette exigence… Entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de “collaborateurs” ou “participants”, qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse » (p. 30). En l’absence de ce statut intermédiaire, les parents sont de simples usagers d’un service public et ne sont donc pas soumis à l’exigence de neutralité religieuse.

« S’agissant du service public de l’éducation (…) le Conseil d’État regarde les parents d’élèves comme des usagers », l’étude se réfère à un avis datant du 22 mars 1941, pris à la suite de la saisine du Conseil d’État par l’association catholique Union des parents d’élèves de l’enseignement libre. 1941. Régime de Vichy. N’est-il pas temps pour les politiques de faire leur métier : faire progresser le Droit, au lieu de laisser jouer l’avantage pour les orthodoxes sur 77 ans ?

Mais, « en même temps », les conseillers d’État précisent que des « restrictions à la liberté de manifester leurs convictions (…) peuvent dans chaque service être décidées et appliquées dans la mesure rendue nécessaire par le maintien de l’ordre public et le bon fonctionnement du service public » et « les exigences liées au bon fonctionnement du service peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou à des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ». Nous ne sommes pas impuissants. Nous sommes lâches. Les arrêts des Tribunaux administratifs ont donné tort aux directeurs d’école parce que, non formés en droit, ils motivaient mal leurs refus ou que leurs règlements intérieurs étaient mal rédigés.

« Les islamistes et les indigénistes y verraient un abus de pouvoir islamophobe et colonialiste.

Et nous piégeons les enfants dans cette surenchère de la vertu et de la piété, l’alternative entre les bons musulmans et les mauvais. »

 Gilles Clavreul, l’ex DILCRAH (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT) craint qu’une loi contrevienne à la Constitution ou aux textes européens. Dépêchons-nous de le rassurer : la très accommodante Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans son arrêt du 15 février 2001, reprend une décision d’un tribunal suisse prise lors de l’affaire dite Dahlab : « Le 20 décembre 1982, une circulaire relative au port du foulard dans les établissements de l’enseignement supérieur fut adoptée par le Conseil de l’enseignement supérieur. Ce texte interdisait le port du foulard islamique dans les salles de cours.

 Le Conseil d’État, dans son arrêt du 13 décembre 1984, confirma la légalité de cette réglementation et considéra que : “Au-delà d’une simple habitude innocente, le foulard est en train de devenir le symbole d’une vision contraire aux libertés des femmes et aux principes fondamentaux de la République”. »

L’arrêt reprend également une décision intéressante de la Cour Constitutionnelle turque, confirmée par la Grande Chambre de la CEDH dans son arrêt Leyla Sahin contre la Turquie et donnant raison à la fermeté de l’État turc sur la laïcité : « Selon les juges constitutionnels, chacun peut s’habiller comme il le veut. Il convient aussi de respecter les valeurs et traditions sociales et religieuses de la société. Toutefois, lorsqu’une forme de tenue est imposée aux individus par référence à une religion, celle-ci est perçue et présentée comme un ensemble de valeurs incompatible avec les valeurs contemporaines. Au surplus, en Turquie, où la majorité de la population est de confession musulmane, le fait de présenter le port du foulard islamique comme une obligation religieuse contraignante entraînerait une discrimination entre les pratiquants, les croyants non pratiquants et les non-croyants en fonction de leur tenue, et signifierait indubitablement que les personnes qui ne portent pas le foulard sont contre la religion ou sans religion. »

Tout est dit et clairement dit, notamment sur la contrainte exercée sur les autres femmes. Les islamistes et les indigénistes y verraient un abus de pouvoir islamophobe et colonialiste. Et nous piégeons les enfants dans cette surenchère de la vertu et de la piété, l’alternative entre les bons musulmans et les mauvais. La CEDH met surtout l’accent sur le « signe extérieur fort » que représentait le port du foulard par une enseignante et s’interroge sur l’effet du prosélytisme que peut avoir le port d’un tel symbole sur les enfants, le voilement étant imposé aux femmes « par un précepte difficilement conciliable avec le principe d’égalité des sexes ».

Ces femmes tenant à ce point à leurs voiles me font penser à ces croyants plus sensibles à la promesse de l’ouverture d’une mosquée qu’à celle de formation et d’emplois pour leurs enfants. Ils pensent accomplir un acte de foi. Il se fait aux dépens de l’intérêt de leurs enfants. La laïcité ne se radicalise pas : elle se vide de toute exigence pour se muer en célébration mièvre de la différence et donc à terme du différentialisme. Alors il faut assumer la fermeté qui ne repose pas sur les épaules des directeurs d’école, mais sur celles plus solides du ministre de l’Éducation nationale et des parlementaires. Nous disposons des outils, pas du courage de simplement faire appliquer la loi. Or, la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires des élèves, dont ses contempteurs nous annonçaient qu’elle déboucherait sur le chaos et la guerre civile, a précisément apaisé les choses, limité les litiges et protégé les professionnels de l’éducation, comme la loi de 2010 sur le voilement intégral, que la CEDH a validé au nom du droit de l’État français à défendre une vision de la Nation et du vivre-ensemble.

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