Hommage à Jacques Chirac
Conseil de Paris - Discours d’Anne Hidalgo
C’est avec une profonde émotion et un grand respect que nous rendons aujourd’hui hommage, en ouverture de ce Conseil de Paris, au Président de la République et premier Maire élu de Paris, Jacques Chirac.
Il était un Homme d’État exceptionnel dont le destin est intimement lié à celui de son pays. Plus de quarante ans à servir la France et les Français, dont dix-huit ans à se dévouer aux Parisiens.
C’était un homme de convictions qui marqua son temps.
Il fut le Premier ministre du gouvernement qui légalisa l’avortement. Faisant fi du risque politique pour rester fidèle à ses idées.
Il fut le Président de la République qui reconnut pour la première fois la responsabilité de l’État Français durant la seconde guerre mondiale. Pour cet homme, digne héritier du général De Gaulle, qui se faisait une « certaine idée de la France », c’était avoir le courage d’ouvrir les yeux sur les heures les plus sombres de notre Histoire, pour mieux mettre en lumière les heures les plus héroïques de notre pays.
C’était faire sienne l’histoire de Paris, depuis la rafle du Vel d’Hiv jusqu’à la construction du mémorial de la Shoah sur un terrain qu’il donna en tant que Maire de la capitale.
Il fut le dirigeant international qui sut tenir tête à la première puissance du monde pour nous préserver d’une guerre injuste en Irak. Dernier Président de la République à avoir vécu la seconde guerre mondiale, il refusa de répondre à l’horreur des attentats du 11 septembre 2001 par les armes.
Jacques Chirac fit le choix du multilatéralisme et de la diplomatie.
Il fut l’un des premiers à sonner l’alerte environnementale et à nous rappeler à notre responsabilité commune. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Ses mots si marquants, prononcés il y a près de vingt ans, résonnent encore, tant ils témoignent avec justesse de l’urgence d’une situation qui n’a cessé de se dégrader.
Pour lui, la politique était un art de la rencontre avec l’autre. Une rencontre vraie et sincère. Jacques Chirac c’était une autre définition de la politique. La politique comme engagement absolu, qui mérite qu’on s’y livre corps et âme, pour ce qu’il permet de rappeler à un pays, à un peuple ce qu’il a de meilleur, sa conscience, sa force et sa liberté.
Un mot me vient quand je pense à Jacques Chirac. C’est l’indépendance. On se souvient de son visage décidé, de sa détermination et de sa fermeté. Lorsque dans un stade la Marseillaise est sifflée, devant les soldats à Jérusalem, face au populisme.
Il était celui qui n’avait pas peur, qui était capable de se dresser pour dire « non ».
Cette indépendance, il la tirait aussi de sa ville, Paris, où il est né, a grandi, et dont il fut le premier Maire élu au suffrage universel en 1977. C’est sous son impulsion que Paris a repris son destin en mains. Que Paris est redevenu Paris.
Il a été au rendez-vous d’une page de l’histoire de notre capitale, avec lui, la Ville n’était plus administrée par un préfet. Paris l’indocile, dont le peuple s’est si souvent soulevé, retrouvait le fil de son histoire par la détermination et l’énergie inépuisable de son Maire.
Cet acte fondateur inspira la suite du parcours politique de Jacques Chirac. Agir. Agir sans jamais compromettre ses convictions, agir sans que jamais le risque politique ne soit un frein, agir sans jamais perdre de vue ceux pour qui nous nous engageons.
Ceux qui nous ont donné mandat. Ceux qui, par leur suffrage, nous ont donné pour mission d’agir en leur nom. Jacques Chirac ne les oubliait jamais. Et toutes les Parisiennes et tous les Parisiens qui l’ont croisé, le savent et en gardent un souvenir ému. Chacun a une anecdote sur lui. Il ne laissait personne indifférent.
De ses hauteurs, il posait son regard sur vous et vous vous sentiez privilégié, élevé au-delà de vous-même. Jacques Chirac était un homme entier.
Je sais combien tous les agents de la Ville qui l’ont connu l’aimaient, lui qui, le premier, leur ouvrit les portes de l’Hôtel de Ville lors de différentes célébrations.
C’était le patron qu’on aimait, qui venait saluer les uns et les autres dans leur bureau, celui qui avait une attention pour chacun. Il avait compris qu’être Maire c’était prendre soin de sa ville, de ses habitants, et de ceux qui s’en occupent.
Prendre soin aussi de ceux qui sont laissés pour compte. Nous continuons aujourd’hui l’œuvre qu’il a débuté en créant le Samu social à Paris. C’est lui aussi qui décide de réquisitionner des immeubles en 1994 pour faire face à la crise du logement.
Prendre soin des élus aussi, lorsqu’il offrait son aide et ses encouragements à ceux qui avaient perdu leur mandat, que la maladie touchait, que la vie n’épargnait pas.
Tous ceux qui l’ont connu dans cet hémicycle pourront dire quel Homme il était.
Après mon élection, il m’a accueillie aux côtés de Claude, sa fille, dans les bureaux de sa fondation. Ce fut un moment profondément humain, plein d’attention, d’intelligence.
J’avais en face de moi un homme à l’esprit vif et rieur, j’avais en face de moi 40 années d’un destin politique, ses épreuves, ses échecs et ses victoires, j’avais en face de moi une âme noble qui voyait en l’autre une richesse.
C’est pour cette chaleur, cette générosité, cette humanité que tous aimaient Jacques Chirac, et les rassemblements populaires de ce week-end nous l’ont encore montré, y compris de de la part de celles et ceux qui ne partageaient pas ses idées.
Il avait un véritable amour pour le contact et l’échange. C’est avec un plaisir sincère que ce bon vivant parcourait tous les ans les allées du salon de l’agriculture, serrait des mains, croquait avec gourmandise ce qu’on lui offrait à chaque stand où il s’arrêtait de bon cœur.
Il a fait de ce moment un rendez-vous incontournable pour tous les hommes et toutes les femmes politiques pour lesquels il constitue un modèle.
Après la mort de François Mitterrand, Jacques Chirac lui a rendu un magnifique hommage. Il disait de François Mitterrand qu’il avait « débordé sa propre vie ». Ces mots correspondent je crois parfaitement à l’homme qu’était Jacques Chirac.
Sa grande silhouette, sa voix reconnaissable entre toutes, sont devenues les symboles d’une époque. Ses colères, ses drames, ses joies sont celles des décennies qu’il a traversées et dont il a été un trait d’union.
Jacques Chirac est avant tout un homme qui aimait profondément, viscéralement son pays : pour l’idée qu’il s’en faisait. Celle d’un grand pays. La nation des droits de l’homme.
Un pays de liberté, d’égalité, de fraternité. Mais aussi un pays de terroir, de grandes villes et de petits villages, un pays qu’on sillonne au volant de sa Citroën, un pays dont on connaît chaque département, un pays dont on jouit de la nourriture et des bons vins, un pays dont on aime les habitants, parce qu’ils en constituent l’âme.
Et cette âme, Jacques Chirac la comprenait mieux que personne parce qu’il la partageait. Il a vécu une vie de Français, et a réussi à nouer un lien particulier, intime, sincère, avec ce pays et ses habitants, depuis les rues de la capitale jusqu’aux prés de la Corrèze, des troquets parisiens jusqu’à la place de l’Église de Sarran, des Halles de Rungis jusqu’au petit marché de village.
Aujourd’hui le Conseil de Paris lui rend hommage.
Hommage à celui qui était le reflet des Français, de leurs paradoxes et de leurs contradictions, de leurs hésitations et de leurs aspirations, de leur goût immodéré du panache et de leur exigence inconditionnelle de liberté.
C’est ici, à Paris, qu’il a passé ses plus belles années. Lorsqu’il évoquait notre ville, ses yeux brillaient, c’était Paris cette amie commune qui nous unissait parce que nous éprouvions pour elle le même amour passionné.
Il en parlait comme d’un être vivant. Qu’il sache aujourd’hui que l’âme de Paris pleure son premier Maire, et qu’il sera à jamais notre Maire.
J’adresse mes pensées sincères à son épouse Bernadette, qui m’a chargée de vous transmettre, à vous tous, élus parisiens, un signe très ému de reconnaissance et d’affection pour les témoignages qui lui sont parvenus. Et d’accompagner ce signe d’un message tout simple : entre eux et Paris, au-delà de l’engagement politique, c’est une très belle histoire d’amour qui s’est nouée.
Je pense aussi à Claude, à Martin, à la famille et aux proches de Jacques Chirac. Je sais le chagrin qui les habite.
Je veux leur dire que le nom de Jacques Chirac qui est d’ores et déjà inscrit dans l’histoire parisienne, s’écrira bientôt en toutes lettres sur les pierres de Paris, selon le choix de la famille.
Je sais aussi l’émotion de tous ceux qui l’ont côtoyé, amis, collaborateurs, adversaires politiques et qui sont ici présent pour lui rendre hommage.
Je vous remercie de bien vouloir respecter une minute de silence en la mémoire de Jacques Chirac.
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