Au moment où les grandes manoeuvres pour la préparation des élections européennes de mai 2019 commencent, je publie un texte de République et Socialisme s’adressant aux forces de gauche.
QUELLE REFONDATION DE L’UNION EUROPEENNE ?
Lettre ouverte de République & Socialisme aux forces de gauche
L’Europe est devenue une réalité quotidienne pour les citoyens des nations qui composent l’Union européenne.
Après plus de 60 ans de fonctionnement, quel bénéfice, quel progrès social, notamment au niveau de l’emploi et du niveau de vie, les citoyens concernés en ont-ils tiré ?
De bonne foi, nos contemporains pensaient que cette construction politique favoriserait la coopération entre les nations pour le bien-être de leurs habitants respectifs, contribuant ainsi, à terme, à la réalisation d’une véritable union des peuples.
Il faut bien aujourd’hui déchanter. Cette Europe construite dans le dos des peuples, loin de contribuer à une prospérité égalitaire, est devenue un champ clos où s’affrontent les intérêts à court terme des firmes transnationales !
La maigre participation des citoyens aux élections au Parlement européen et le faible intérêt qu’elles suscitent, témoignent en grande partie de cette méfiance justifiée.
En particulier la plupart des Français ont compris qu’à travers les traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et surtout du traité de constitution européenne – « retoqué » par les électeurs français mais finalement adopté par nos représentants à travers le Traité de Lisbonne-, il y avait tromperie sur le contenu et la qualité du produit proposé par nos dirigeants.
De fait, les dirigeants français, qu’ils soient issus du parti socialiste ou de droite, ont renoncé à leur pouvoir de décision sur notre monnaie, notre budget, sur le pilotage de l’économie du pays au nom du dogme de « la concurrence libre et non faussée », la main invisible du marché étant sensée apporter seule la prospérité attendue pour tous !
En fait, c’est de la loi de la jungle dont nous avons hérité, non seulement entre les firmes multinationales, mais aussi (par « ruissellement » ?!) entre les peuples et les salariés au sein de l’entreprise.
Il n’y a pas de raison de s’appesantir d’avantage sur le constat tant nous l’avons fait à maintes et maintes reprises au sein de l’ensemble des formations de gauche et du mouvement social.
La question centrale aujourd’hui est de savoir si nous pouvons unir les forces de l’ensemble du mouvement social et de la gauche pour créer une alternative à cette Europe-là !
Pour ce faire il est grand temps de mettre sur la table des questions qui nous divisent et d’en débattre fraternellement.
La première question à trancher est celle du fédéralisme. Celui-ci ne peut être que la conséquence d’une volonté partagée. Aujourd’hui la démocratie à l’échelle européenne ne peut être que de type confédéral. Sinon comment lutter contre les libéraux quand la quasi-unanimité des gouvernements européens souhaite aller encore plus loin et plus vite dans le libéralisme absolu ?
Aujourd’hui la clef de voûte de l’Europe n’est pas la Commission européenne mais bien le Conseil de l’Union Européenne (appelé également conseil des ministres de l’UE). Aucune directive ne sort sans avoir reçu l’aval de l’ensemble des ministres concernés…. Quel culot faut-il aux gouvernements pour expliquer que ces directives tombent de l’Europe comme du ciel ! La rhétorique fédérale aujourd’hui n’a qu’un seul but : opposer les intérêts des peuples quitte à voir encore monter la xénophobie et le nationalisme. Comment avoir plus de droits en France lorsque l’on doit concurrencer le salaire d’ouvriers roumains ? Ce qui est une avancée sociale dans un pays est une exception. Et donc cette exception doit être combattue puisque les autres peuples ne l’ont pas. C’est ainsi une mécanique bien huilée. Le rêve d’un peuple européen uni est retourné pour en faire une des principales armes des libéraux.. De plus en mettant des règles apparaissant comme démocratiques de majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres européens ils empêchent en réalité un peuple de se dresser au nom de tous les autres contre l’Europe libérale technocratique.
Si nous souhaitons ardemment une Europe de peuples frères, si d’autres rêvent d’un peuple européen, rien de tout cela n’est atteignable tant que l’on ne permet pas en Europe aux peuples de décider démocratiquement de leur avenir, de leur sort, de l’orientation des politiques menées dans leur pays et au niveau européen. Obliger les peuples à se courber face à une décision européenne qui ne peut être que libérale au nom d’un rêve, fut-il merveilleux, est nécessairement une chimère… exploitée comme il se doit par les libéraux et les nationalistes. Comme l’a expliqué Jaurès, la souveraineté populaire et l’internationalisme sont indissociables. La lutte pour une République sociale, pour le socialisme en France, l’internationalisme, loin de s’opposer sont une seule et même démarche. Comment peut-on croire que l’on peut créer un sentiment d’appartenance à une entité en asservissant ou en ne respectant pas les modes de vie, les structures économiques et politiques des entités qui la composent ?
Chaque peuple est attaché à la souveraineté populaire, à la démocratie que le libéralisme remet en cause pour contrer tous les droits conquis par les salariés. Le « marché unique » ne supporte pas les droits et conquis nationaux. L’absence d’alternative, la négation de la souveraineté, de la démocratie, renforcent les extrêmes-droites qui ont d’ores et déjà atteint un niveau alarmant, participent à des gouvernements dans nombre de pays, sont candidats à la direction de l’Italie..
La construction européenne n’aura de perspective historique que si elle se fait à partir des besoins, des droits fondamentaux des peuples, des citoyennes et des citoyens, de l’exigence d’égalité entre les peuples, d’harmonisation par le haut.
De plus la gauche ne doit pas avoir l’Europe comme seul horizon. Il est tout aussi important pour la fraternité des peuples comme pour nos relations internationales de ne pas oublier les pays du Sud. Concernant la France il y a de plus en plus de Français qui se sentent plus proches du nord de l’Afrique que des pays de l’est européen. Réfléchir à une zone de coopération et de développement autour de la méditerranée basée sur l’entente entre les peuples pourrait donner un deuxième horizon à la France comme nous pourrions le faire avec l’Amérique latine. Face à des traités de libre-échange qui se multiplient la France ne pourrait-elle pas prendre la tête d’une initiative pour développer internationalement des traités de coopérations et de développement ? Il faut définitivement tourner la page de la Françafrique et de nos appétences colonialistes comme il nous faut cesser de ressasser indéfiniment nos erreurs historiques. Il nous faut nous intéresser au présent et ouvrir celle d’une coopération internationale volontariste comme nous avons su le faire avec Airbus, Ariane … sur les nouvelles technologies, la recherche et l’environnement par exemple ; pourquoi ne pourrait-on pas le faire avec des pays du Sud ? Sinon nous produisons, nous alimentons l’idée d’Europe forteresse dont on voit les conséquences lors de la crise migratoire actuelle.. Ces coopérations pourraient associer les pays européens qui le souhaitent et pourquoi pas l’Europe toute entière ? C’est ainsi qu’une véritable Europe des peuples peut se construire, sur des projets, des ambitions, une ouverture au monde autre qu’à celle de la marchandisation du monde qui au final la dresse en forteresse assiégée faisant le lit de tous les nationalistes. Car c’est ainsi : la liberté de circulation des capitaux et des travailleurs par et pour le dumping social ne crée aucune fraternité, aucune solidarité ! C’est l’inverse de l’internationalisme, cela entraîne les nationalismes triomphants. L’internationalisme c’est aider les autres salariés, pas les mettre en concurrence libre et non faussée à l’échelle planétaire.
Il est inadmissible d’accepter les importations de pays ne respectant pas les règles de l’OIT, des produits manufacturés par des enfants, liés à des pratiques proches de l’esclavage. C’est inadmissible. Ici, en France, car cela détruit nos emplois mais également là-bas puisqu’elle exploite des salariés dans des conditions indignes. Personne ne peut croire que c’est en acceptant le chômage et la misère ici que l’on aide à l’émancipation d’un travailleur à l’autre bout du monde. Si cela semble à des forces de gauche économiquement impossible à faire immédiatement alors pourquoi ne pas mettre en place une taxe écologique et sociale d’importation à différents niveaux jusqu’à respect des règles de l’OIT ? Il nous faut porter cette exigence au niveau européen, et si les autres gouvernements ne l’acceptent pas le revendiquer pour la France seule.
Différentes solutions existent, différents débats doivent avoir lieu dans la Gauche. Nous sommes tous coupables de ne pas les avoir menés. Il faudrait aussi avoir un débat sur l’utilité ou non de l’Euro. L’Angleterre ne l’a jamais eu, les Etats-Unis et l’Inde non plus et ce n’est pas pour ça que leur politique est moins libérale et moins austéritaire. Mais de l’autre côté doit-on attendre qu’un nombre significatif de gouvernements acceptent de modifier l’orientation de cette monnaie ? Existe-t-il ou non des possibilités de passer à une monnaie commune ? Aurons-nous le temps d’en débattre d’ici les élections européennes ? Nous craignons que non. Mais peut-être est-ce un moment propice pour que nous prenions conscience que ces débats doivent et peuvent être menés entre nous sans acrimonie, sans taper avec assurance sur la table, en parlant plus fort et en stigmatisant l’autre. Comment ne pas avoir de doutes ? Comment ne pas mener de débats après la Grèce et le Brexit ? Sinon sur la question européenne en réalité aucune large union de la gauche autre que de circonstance ne peut avoir lieu. Et nous savons bien que ce n’est pas ce genre d’alliance qui pourra renverser le rapport de force.
Mais si nous avons un seul message à faire passer alors il doit être celui-ci :
Le coupable de la politique menée en France a un seul nom : Macron ! C’est lui qui fait signer les directives, c’est lui qui va au-delà des directives, c’est lui qui détruit la fonction publique, les services publics, le droit du travail, supprime toute marge de manœuvre aux collectivités territoriales et assèche notre démocratie. Il fait mine d’affirmer l’État mais il lui supprime tout moyen d’agir ! C’est son seul pouvoir personnel qu’il renforce au détriment du corps législatif pour aller plus vite et plus loin dans le libéralisme. Le coupable c’est Macron en France et Merkel en Allemagne ! Ce n’est pas les autres qui sont responsables du libéralisme chez nous ! Ce sont les gouvernements qui trahissent les peuples en confisquant leur souveraineté… les Français en ont conscience puisqu’ils n’ont pas reconduit un seul gouvernement depuis 30 ans !
Bien entendu le cadre européen et légal actuel est pernicieux puisqu’il engage les générations futures par les directives libérales prises. Mais est-ce inéluctable ? Nous pourrions tout à fait constitutionaliser l’idée de loi référendaire écran : une loi adoptée par référendum pourrait s’imposer aux traités en cours si elle lui est postérieure…
Car la plus haute norme juridique est notre Constitution. Elle contient l’article 2 disant que le principe de notre République est le «gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » et l’article 3 disposant que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
C’est tout à fait possible de déroger aux traités internationaux fussent-ils européens. Cela existe déjà … pour les demandes d’asile ! Contrairement aux propos, de Macron l’article 53-1 de la Constitution dispose «Toutefois, même si la demande n’entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords [entre Etats européens], les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif». Pourquoi pas un même article sur les services publics, les droits sociaux, l’environnement ?
Nous possédons donc deux leviers pour permettre une refondation de l’Europe : le blocage en Conseil de l’Union européenne et la modification constitutionnelle pour limiter et remettre en cause des directives contraires à la volonté de notre peuple. C’est un atout supplémentaire dont il faut se servir et qui s’ajoute au poids économique et politique de la France
Mais ce que nous souhaitons faire en France doit être possible pour les autres peuples d’Europe. C’est pourquoi cette proposition doit être portée au niveau européen. Cela permettrait en attendant de trouver un nouvel accord de refondation européenne basé sur un autre pilier que la concurrence libre et non faussée de s’assurer que les différents pays peuvent déroger aux directives si elles ont été signées par un ministre contre l’avis de son peuple.
Des députés européens de gauche – en plus de leur lutte quotidienne au parlement européen pour tenter avec leur faibles marges de manœuvre de contrer les libéraux voire de permettre quelques avancées – devraient œuvrer pour porter haut et fort cette exigence, non de rupture mais de cohésion européenne, de fraternité entre ses peuples.
Notre projet de reconstruction européen doit pouvoir inclure singulièrement le dessein que nous portons pour la France.
Pour la France nous voulons une République sociale. Internationalistes, nous voulons une Europe sociale, de coopération, respectant les souverainetés populaires.
L’harmonisation européenne doit se faire par le haut, engendrer de nouveaux progrès, à l’opposé de la convergence vers un « socle » européen pour les plus démunis, conception opposée au programme du Conseil National de la Résistance. Une Europe vraiment sociale ne peut faire l’économie d’une harmonisation fiscale menée si possible au pas de charge et liée à une lutte généralisée contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale, notamment au sein de l’Union européenne. L’optimisation et l’évasion fiscales représentent 1000 Milliards par an en Europe, 70 / 80 Milliards en France.
Pour œuvrer à la réduction des inégalités nous devons procéder à l’augmentation des salaires, à la (re)conquête d’un droit du travail protecteur pour les salariés du privé, des statuts dans les services publics, à l’égalité femmes-hommes (responsabilités et salaire) en France et en Europe.
Une Europe vraiment sociale doit œuvrer pour augmenter les salaires en son sein. Cela commence par l’instauration d’un smic plancher en lien avec le niveau de vie de chaque pays. Il faut prendre en compte la réalité économique de chacun et obliger les moins-disants sociaux à rejoindre les mieux-disants. C’est le contraire de ce que fait l’Europe actuelle. Et comme la mode est à l’anglicisme remplaçons le Dumping social par l’Ascending social !
Nous devons créer des coopérations pour le développement massif de l’emploi, lié notamment à une politique volontariste de réindustrialisation, complémentaire de la reconquête des services publics. La BCE doit être au service du développement économique en faveur des peuples, non au développement financiers en faveur des spéculateurs Ayant commis l’erreur d’avoir mis la charrue économique avant…le tracteur du politique, au nom d’une croyance absurde mais qui profite bien aux entreprises du CAC 40 et à la sphère financière mondiale, il est évident que la mise en place à 28 pays des correctifs nécessaires relève de l’exploit sportif. C’est pourquoi la mise en place de projets industriels communs entre nations volontaires, sans rechercher l’unanimité serait un bon moyen pour contribuer au déblocage du reste. Les grands projets, la recherche, …s’inscrivent dans le temps long. Ils nécessitent des réappropriations publiques (propriété publique, statut public des personnels, démocratisation). Les services publics, y compris de réseau, peuvent coopérer, sans qu’il y ait besoin de super instances de décision à Bruxelles ou à la BCE. Les coopérations doivent s’ouvrir aux pays du Sud pour les aider au développement économique et écologique. On ne peut accepter que l’Europe accompagne le FMI et la Banque mondiale pour les enfermer dans une misère la plus absolue dans l’indifférence générale. C’est également l’occasion pour l’Europe de faire autre chose que des traités de libre-échange outre-atlantique et de se tourner vers d’autres cieux que ceux de l’OTAN et de l’Amérique.
Nous devons œuvrer à la transition écologique. La préservation, la reconquête de l’environnement, du climat, de la biodiversité, d’une alimentation saine … sont des nécessités vitales. Nous ne pouvons l’obtenir sans politiques et opérateurs publics. Attendre le bon vouloir des multinationales pour sauver la planète et de vagues promesses est loin d’être suffisant. Il faut réglementer et refuser que les pays pauvres soient pillés et servent de poubelles aux pays riches. L’écologie tout comme le social doit entrer en ligne de compte dans nos accords commerciaux et devenir une exigence pour tout pays européen
Nous devons lutter pour les besoins fondamentaux qui sont universels. Leur satisfaction égalitaire nécessite le redéveloppement des services publics de proximité, de haute qualité, en France comme en Europe. Soyons précis : il y a un fossé entre un service public et un SIEG exercé par le privé. Le privé a d’autres objectifs que la satisfaction égalitaire des besoins : la rémunération des capitaux investis prime. La protection sociale, largement privatisée partout en Europe, doit être (re)conquise, notamment la Sécurité Sociale en France (santé, retraites, famille, AT/MP). Les moyens pour l’hôpital public, les EHPAD…doivent être dégagés, l’accessibilité pour toutes et tous à une prévention et des soins de qualité sur tout le territoire doit être garantie.
La préservation de ce qui reste de notre modèle social issu du Conseil National de la Résistance, sa reconquête, de nouvelles conquêtes, exigent d’autres traités, d’autres institutions européennes.
Cela nécessite un changement de gouvernement, la césure avec les politiques austéritaires menées depuis plus de 30 ans et donc la refondation de la gauche par un combat unitaire. Il nous faut travailler à la convergence générale des forces sociales, politiques et associatives pour une République sociale en France, contre la politique de Macron et celle des gouvernements de l’Europe qui ne sont qu’une. C’est une refondation progressiste de l’Europe aux antipodes de celle en train de se mettre en place que nous voulons.
Cela suppose qu’une gauche unie, sortant victorieuse des élections nationales, soit en mesure de proposer un projet de sortie par le haut de l’ornière où nous nous sommes enlisés.
Les élections européennes, si nous réussissons à nous accorder sur des pistes potentiellement majoritaires au niveau national et européen, peuvent être une première marche de cette reconquête nationale et de la création d’un véritable rapport de force, au sein du parlement européen, pour une Europe sociale et démocratique.
C’est en allant dans ce sens avec constance, en prenant la mesure du temps nécessaire, que la voix de la France et celle de l’Europe pourront se faire entendre sur la scène internationale.
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