Faut-il en rire ou en pleurer ?
Comment Cahuzac a-t-il pu devenir ministre des finances ? Peut-être la réponse ci-dessous dans un excellent article de Marianne
«La lutte des classes, au fond, ça résume notre réelle divergence. Vous, vous y croyez toujours et moi, je n’y ai jamais cru.» C’est par ces deux phrases lapidaires, pesées, longuement mûries par un aréopage de communicants que Jérôme Cahuzac concluait le débat qui l’opposa à Jean-Luc Mélenchon sur France 2, le 7 janvier 2013. Un débat censé poser la première pierre de l’édifice social-libéral. Une construction idéologique nouvelle s’édifiant sur les ruines du socialisme dogmatique, nous disait-on, mais aussi… de la social-démocratie. Car c’est bien au cours de cette émission que le ministre du Budget avait sifflé la fin de la récréation. Le big bang fiscal promis par le candidat Hollande ? Il s’était bien produit. Circulez ! il n’y avait plus rien à attendre. La prestation de Cahuzac fut littéralement encensée par tous les éditorialistes de France et de Navarre, qui vantèrent sa fermeté, son brio, son expertise, mais aussi par bon nombre de patrons et encore plus de responsables et de collègues socialistes.
Un débat censé également faire diversion. Car, quelques semaines auparavant, Mediapart avait déjà mis en cause la probité de ce ministre droit dans ses bottes. Et c’est à ce moment qu’avait prospéré cette idée folle : l’espoir que Cahuzac le père de la rigueur efface les soupçons portés sur Cahuzac le fraudeur du fisc.
Plusieurs éléments ont permis d’étayer cette stratégie. Une légende Cahuzac est née dans la presse. L’homme ne vient-il pas des cercles rocardiens, apôtres du parler-vrai. N’a-t-il pas été proche de DSK, patron du FMI ? Mieux : n’a-t-il pas fait connaître dans la presse, non sans habileté, son désaccord à la suite de l’annonce par François Hollande d’un projet de tranche d’impôt à 75 % pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros. Enfin, la gauche sociale-libérale tient avec lui son héraut : l’âme de Mendès France et la volonté de Jules Moch enfin réunies. Car ce chirurgien sait également trancher dans le vif : dans les coupes budgétaires, mais aussi dans les débats à l’Assemblée nationale. Quand tant de ministres ont les jambes qui flageolent, lui monte au front. Un vrai mousquetaire qui masque, en fait, un garde du Cardinal.
Comment François Hollande et son Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ont-ils pu prendre le risque de s’en remettre, pieds et poings liés, à un seul homme qui, en quelques mois, s’est imposé comme l’arbitre des élégances économiques ? Le président de la République, que l’on décrit si habile, a fait là un pari insensé en l’intronisant chef de guerre du social-libéralisme naissant. A charge pour Cahuzac de porter la politique qui se met progressivement en place, qui a une cohérence forte mais qui est loin, bien loin de celle qui fut affichée pendant la campagne présidentielle.
Décidément, le social-libéralisme n’a guère de chance avec ses héros. Notons juste que le mot naquit dans les années 80, qu’il fut incarné par le mouvement d’un certain Olivier Stirn et que son emblème était le coquelicot. Une rose dure plus longtemps.
Article publié dans le numéro 833 du magazine Marianne, semaine du 6 au 12 avril 2013 http://www.marianne.net/Cette-gauche-qui-passe-l-arme-a-droite_a227977.html
0 Réponses à “Cette gauche qui passe l’arme à droite…”