Je publie ci-dessous trois discours prononcés en 1934 et 1935 par un homme (!), Monsieur Georges Contenot, président du Conseil municipal de Paris, plaidant ardemment pour le vote des femmes. Ce n’est pas si commun, en France, à cette époque …
Discours du 5 juillet 1934
Discours prononcé par Georges Contenot,
président du Conseil municipal, le 5 juillet 1934,
lors de la réception à l’Hôtel de Ville
des membres du Congrès international des femmes.
Mesdames,
C’est pour nous un grand honneur et une joie profonde de recevoir dans notre Maison les déléguées étrangères et françaises participant à l’Assemblée plénière du Congrès international des femmes.
Nous savons que, par la qualité comme par le nombre, nos invitées de ce jour constituent, en quelque sorte, les Etats généraux du féminisme qui pense et qui agit et qu’il n’est pour ainsi dire pas une seule de ses conquêtes qui ne soit le résultat de leurs efforts.
En présentant les respectueux hommages de notre Assemblée à votre éminente Présidente, Mme la Marquise d’Aberdeen et Temair, j’ai conscience de rendre hommage en sa personne à l’incarnation la plus haute et la plus représentative d’une cause toute de justice et de bonté.
A notre joie pourtant se mêle un sentiment de confusion qu’ont, deviné déjà, j’en suis sûr, les membres du Conseil national des femmes françaises : celui de reconnaître, en votre présence, que les femmes de chez nous, si dignes pourtant d’être traitées de la façon la plus favorisée, n’ont point encore obtenu, dans les domaines politiques et juridiques, l’égalité complète des droits.
Fervent partisan du suffrage universel – mais universel dans la pleine acception du mot – je ne me ferai pas le défenseur d’un état de choses si contraire à l’équité et au progrès. Et mon désir le plus vif, Mesdames, serait de voir un jour les portes de cette Maison s’ouvrir toutes grandes à des collègues du sexe féminin. Je suis persuadé qu’elles trouveraient dans le domaine édilitaire une ample matière à se dépenser, de la façon la plus utile, au service de la collectivité.
Mais je n’ignore pas, Mesdames, qu’aux revendications de cet ordre ne se bornent pas vos ambitions et vos efforts. Un seul coup d’œil sur les travaux de votre Congrès, sur les objectifs poursuivis, tant en France que dans les autres pays, par vos Conseils nationaux, suffirait à démontrer l’ampleur de votre programme, la diversité des moyens mis en œuvre, la complexité de vos préoccupations.
Vous avez fait vôtre tout ce qui peut contribuer à rendre la vie meilleure pour tous, pour les faibles, les êtres sans défense surtout, tout ce qui peut élever la dignité de l’être humain, tout ce qui peut faire reculer les fléaux et les vices sociaux, tout ce qui peut amener entre les peuples, que tant de barrières séparent, plus de compréhension et d’amour.
A la loi de l’homme qui reste malgré tout fondée sur la force physique et la puissance matérielle, vous opposez une règle de douceur. Cet esprit de sacrifice, ce don perpétuel de soi-même, cette abnégation constante qui sont les vertus premières de la femme au foyer, vous voulez qu’elles soient à la base des relations sociales, des rapports internationaux. Tâche immense, splendide, qui force le respect et mérite la sympathie, tâche à la mesure de votre cœur et de votre volonté.
Vous saurez la mener à bien, Mesdames, nous en sommes assurés, car vous avez pour vous la conscience d’une juste cause qui permet de tout entreprendre, la persévérance qui permet de surmonter tous les obstacles et l’intelligence créatrice qui permet de tout conclure. (Vifs applaudissements.)
Discours du 15 décembre 1934
Discours prononcé par Georges Contenot,
Président du Conseil municipal, le 15 décembre 1934,
lors de la Réception, à l’Hôtel de Ville,
en l’honneur des Associations
pour le suffrage des femmes
et de « La Femme nouvelle ».
Mesdames,
II y a quelques semaines, j’étais l’hôte du nouveau Centre de propagande qui, en plein cœur de Paris, s’est assigné la mission de grouper, en vue d’une action commune, les efforts de plusieurs associations féminines pour l’égalité des droits civils et politiques.
Aujourd’hui, notre Hôtel de Ville accueille avec joie les déléguées de ces groupements, réunies autour de « La Femme nouvelle » et de son animatrice, Mme Louise Weiss. Elles viennent à nous, dans un élan de confiance qui nous touche infiniment, comme vers des amis acquis depuis longtemps à leurs justes revendications.
Vous n’ignorez pas, en effet, Mesdames, quel est, sur un des points essentiels de votre programme, le sentiment du Conseil municipal de Paris. Dix fois, et sans équivoque, il l’a fait connaître, tant par les chaleureuses réceptions offertes en notre Maison à des associations féministes que par des vœux formels et répétés adressés aux Pouvoirs publics. Et vous savez sans doute aussi, Mesdames, combien, personnellement. je suis partisan d’un suffrage vraiment universel, au sens complet du mot.
Le régime actuel constitue une injustice flagrante qui ne saurait indéfiniment se perpétuer.
L’inégalité des sexes devant la loi est un poncif que, seule parmi les grandes démocraties, la France se complaît encore à défendre.
Dans presque tous les domaines de l’activité humaine, la femme est aujourd’hui l’égale de l’homme. Elle partage avec lui les honneurs, les profits, les responsabilités qui s’attachent aux professions libérales, industrielles, commerciales. De haute lutte, elle a mis à son actif des victoires sportives qui demandaient une force morale exceptionnelle et une rare énergie physique. Il n’est point jusqu’au fisc qui, en dépit de son aveuglement bien connu, n’ait aboli toute distinction entre les contribuables des deux sexes. La différence de traitement ne subsiste plus qu’au regard du Code civil et de la législation électorale.
Les Françaises ont pourtant apporté assez de preuves de leur sagesse, de leur intelligence, de leur courage.
Durant la guerre surtout, elles ont montré qu’elles pouvaient remplacer l’homme absent à la direction des affaires, à l’atelier, aux champs, déployant partout une splendide énergie.
Et l’expérience a illustré qu’elles étaient fort bien à leur place dans les organismes corporatifs et économiques.
Elles demandent aujourd’hui des droits plus étendus.
Elles veulent participer à l’administration des Cités et des Départements, à la gestion des affaires du Pays.
Ce droit, elles le possèdent doublement lorsqu’elles ont donné des enfants à la Patrie et surtout quand elles pourvoient seules à l’entretien d’un foyer privé de son soutien naturel.
Les femmes de chez nous ont trop de bon sens et de raison pour qu’on puisse craindre que le droit de voter et de briguer des fonctions électives les détourne jamais de leur mission première d’épouses et de mères.
Ces qualités, tout au contraire, dirigeront leurs votes, orienteront vers des domaines sociaux leur activité d’élues.
Elles sauront aussi s’abstenir, espérons-le, des vaines et stériles luttes de partis, de toutes ces querelles doctrinales qui sèment la division et d’où rien de positif jamais ne sortit. (Applaudissements.)
De tout cœur, je souhaite qu’elles ne prennent jamais le chemin de ces chapelles de la politique pure, dont les desservants sans mandat officiel et sans responsabilités s’arrogent périodiquement le droit de brandir l’excommunication, de lancer l’exclusive et de tenir sous leur férule des élus qui ne devraient avoir de comptes à rendre qu’au pays.
C’est parce que nous avons confiance en la sagesse des Françaises, des Parisiennes, que nous sommes à leurs côtés dans le bon combat qu’elles livrent à l’iniquité et à la routine. Paris, dont vous serez bientôt, j’espère, Mesdames, les collaboratrices précieuses, salue en vous les dévouées propagandistes d’une cause excellente. Elle triomphera, car elle a pour elle la Justice et la Raison. (Vifs applaudissements.)
Discours du 9 février 1935
Discours prononcé par Georges Contenot,
Président du Conseil municipal, le 9 février 1935
au banquet du IVe Congrès de l’Union nationale pour le vote des femmes.
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d’apporter l’hommage et les encouragements de la Ville de Paris à l’Union nationale pour le Vote des Femmes et d’assurer son éminente Présidente, Madame la Duchesse de la Rochefoucauld, de mon respectueux dévouement.
Vous savez toutes, Mesdames, quel est notre sentiment, à l’Hôtel de Ville, à l’égard du suffrage des femmes, problème de premier plan qui a toujours trouvé en moi, depuis mon entrée dans la vie publique, le plus convaincu des défenseurs.
A dix reprises, depuis la guerre, par des votes sans ambiguïté, notre Assemblée a saisi les Gouvernements successifs de vœux formels en faveur d’un suffrage qui aurait le droit de se dire vraiment universel.
Et, par l’accueil chaque fois réservé en son Hôtel de Ville aux Associations suffragistes – quelles que fussent leurs tendances – Paris a publiquement montré qu’il condamnait le système électoral injuste et rétrograde qui écarte les femmes de la gestion des affaires du Pays, de l’administration des Cités et nous prive d’une collaboration qui n’aurait jamais été plus précieuse qu’en ce moment.
Paris, d’où sont partis, au cours des siècles, tous les grands élans libéraux qui ont orienté les destins de la France, « Paris sans qui rien ne se fait – alors que sans la Province rien ne dure -», suivant le mot très juste de M. de Jouvenel, Paris ne saurait demeurer indifférent aux efforts tenaces des femmes de France luttant depuis de si longues années, avec une dignité, une fermeté, une persévérance admirables, pour la conquête de l’égalité politique et juridique.
De tout cœur, je souhaite que vos voix soient enfin entendues, qu’elles parviennent à convaincre vos adversaires déclarés ou inavoués, tous ces partisans attardés du « statu quo » dans la routine !
J’ai appris, avec joie, que de nouveaux et brillants défenseurs, tant à la Chambre qu’au Sénat, avaient, ces temps derniers, joint leurs efforts à ceux de vos amis de la première heure. Puissent-ils amener nos « vénérables » Sénateurs à une conception plus « actuelle » de la femme, de la jeune fille moderne, de leur rôle dans la vie d’aujourd’hui et des droits étendus qu’elles méritent !
J’ai été, l’autre jour, reçu par le « Soroptimist Club de Paris ». Vous connaissez, Mesdames, la composition de ce groupement qui réunit à Paris, comme dans les autres grandes villes du Monde, une élite de femmes appartenant au Commerce, à l’Industrie, au Barreau, aux Lettres, à l’Enseignement. J’ai été véritablement séduit par cette réunion, où l’esprit le disputait au charme et au talent, sous ses formes les plus variées. Non sans confusion, je me disais : « De telles femmes, qui sont l’honneur de notre pays, dont l’activité ajoute au prestige et à la prospérité de Paris, de telles femmes ne votent pas ! ».
Et, à ce propos, un mot piquant revient à ma mémoire, que je vous confie, Mesdames, sous le sceau du secret. Une dame de mes amies me disait un jour : « Quand une femme accompagne son mari à une réunion électorale, l’homme écoute et la femme comprend ! ». Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il en est toujours ainsi, mais cela doit l’être dans bien des cas. Je crois volontiers que la femme, rendue sceptique, par une expérience atavique, sur la sincérité des promesses des hommes, a une tendance naturelle à rechercher, au delà de la musique des mots, des assurances plus substantielles et qu’elle est moins que nous sensible à l’éloquence officielle, à laquelle rien ne sert de tordre le cou, car elle est une hydre aux cent têtes !
Après cette digression, que je m’en voudrais, Mesdames, de prolonger, laissez-moi dire un mot de votre dernier Congrès. Il m’inspire la pensée suivante : En vérité, tout homme de bonne foi devrait être conquis à la seule lecture de son programme. Sous le titre très général de l’Avenir français, vous avez étudié, dans l’esprit le plus large et le plus objectif, la plupart des grands problèmes de l’heure, dans l’ordre politique, économique, fiscal, pédagogique et électoral.
De telles préoccupations soulignent que les Françaises ont élevé le niveau de leurs connaissances juridiques et administratives à un degré auquel beaucoup d’hommes – et qui pourtant votent ! – sont bien loin d’être parvenus. Ces compétences impliquent que les femmes ont aujourd’hui fait un stage qui leur confère une véritable vocation à assumer des responsabilités, à revendiquer des droits qui sont la juste contrepartie de tous les devoirs, de toutes les charges qui leur incombent.
L’intervention des femmes dans la vie publique ne saurait être différée plus longtemps. Elle ne détournera pas, j’en suis persuadé, les Françaises de leur mission traditionnelle de mères et d’épouses. Elle contribuera, au contraire, à remettre en honneur les valeurs spirituelles, à diriger vers un idéal de réformes morales et sociales l’activité des élus trop souvent sollicités par les luttes de la politique pure. Elle fera passer sur nos Assemblées un grand souffle de bonté et de dévouement et elle aidera puissamment à l’œuvre du redressement national, que nous appelons de tous nos vœux et pour laquelle le concours de toutes les bonnes volontés est indispensable.
Les femmes sont les gardiennes du foyer. Elles sont l’âme de la maison. Elles ne renieront rien de ce patrimoine qui est traditionnellement le leur, mais leur éducation, leur expérience, leurs réalisations les autorisent désormais à étendre plus loin encore les bienfaits de leur activité. Il leur appartient de contribuer par leur précieuse collaboration à mettre plus d’ordre, plus de justice et plus d’autorité dans la cité, dans la société et dans la patrie. (Applaudissements prolongés.)
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