Je ne résiste pas au plaisir de publier ci-dessous l’excellent texte d’Eric FERRAND : « Au choc des civilisations, répondons par un républicanisme de choc ! » que vous pouvez évidemment retrouver sur son blog (cf les liens).
Voici enfin apparaître au grand jour la grille de lecture et d’interprétation des évènements du monde, que dis-je, de notre pays – la France ! – par la triste voix du Ministre de l’intérieur Guéant : le choc des civilisations ! Vieille thèse érigée en dogme il y a quelques années par l’universitaire américain Samuel Huntington terrorisé par la peur d’un Occident assiégé par des « civilisations hostiles »… Portée haut désormais par M.Guéant, cette thèse du choc nous choque. Car tout républicain qui se respecte ne peut envisager de construire l’avenir avec d’éternels coupables et des innocents par nature. L’avenir en commun suppose la vérité dans toute sa complexité, sans manichéisme facile.
Osons alors regarder les choses en face : et si la réalité aujourd’hui était moins le choc des civilisations que la mondialisation libérale, que la mise en concurrence des civilisations pour le plus grand profit du marché ? Les termes de cette concurrence ne se trouvent ni dans la Torah, ni dans l’Evangile, ni dans le Coran. Les termes de cette concurrence se trouvent dans les codes du Travail et surtout dans l’absence de code du Travail. La compétition n’est pas entre Bouddha, Confucius, Jésus et Mahomet. La confrontation est entre les législations sociales ou même dans l’absence de législation sociale. De cette mêlée ouverte, le pays qui semblera sortir victorieux sera le moins-disant social et le moins-disant environnemental. Le choc des civilisations est un dérivatif, qui permet de dissimuler la course aux dividendes, l’enrichissement des plus riches, l’exploitation des plus pauvres, à l’échelle planétaire.
Bien sûr il existe des extrémistes. Bien sûr il existe des terroristes. Bien sûr il existe des fanatiques. Les responsables des attentats aveugles doivent être condamnés sans faiblesse et sans hésitation. Mais tous ces comportements répréhensibles, tous ces actes odieux, servent aussi d’alibis à d’autres, sont aussi utilisés pour cacher les véritables enjeux, permettent de parler d’autres sujets que de la domination sans borne du capital, détournent l’attention des problèmes graves que connaît l’humanité tout entière. Mais, n’est-il pas préférable pour les couches sociales dominantes et dirigeantes au niveau mondial de favoriser les antagonismes entre les hommes à partir de leur religion, de leurs origines ethniques ou de la couleur de leur peau, plutôt qu’en fonction de leur place dans le circuit économique ?
Qui, en France, prône la discrimination positive, sinon Nicolas Sarkozy et ses amis ? Benoîtement, ils la présentent comme une idée généreuse destinée à combattre et à compenser les discriminations négatives réelles dont sont victimes nos concitoyens issus de l’immigration ou de l’Outre-mer. En réalité, elle enfermerait tous les Français dans des catégories sur le critère de leur naissance, les opposant définitivement les uns aux autres sur des bases communautaires. Elle mettrait fin à l’égalité entre les citoyens, conquête essentielle de la Révolution. Elle aggraverait la déconstruction de la République. Elle participerait au démantèlement de la France. Et, loin de mettre fin aux discriminations, elle n’en ajouterait qu’une de plus, car même positive une discrimination reste une discrimination.
À juste titre, il faut de toutes ses forces s’opposer à la montée actuelle du racisme, de l’antisémitisme et du communautarisme en France, mais aussi dans d’autres pays, notamment européens. Mais il faut rappeler avec tout autant de force que cette montée inquiétante est pour une bonne part la conséquence de la crise économique et du chômage de masse persistant, notamment chez les jeunes. Les idéologies d’exclusion, les discours de haine et les démagogues racistes sont à l’œuvre depuis toujours. Mais ils ne rencontrent une réelle audience que dans des situations économiques dégradées. Regardons la situation actuelle de notre pays et nous n’avons, malheureusement, aucune peine à comprendre leur succès.
Les tensions raciales, ethniques ou religieuses détournent l’attention des problèmes économiques. Le social se réduit alors aux relations intercommunautaires. La responsabilité des difficultés est attribuée à l’«Autre». C’est le discours nauséabond sur l’étranger qui vient manger le pain du travailleur français, en lui volant son emploi. La solution, qui consiste à donner à certains des bons points en fonction de leurs origines et, donc, à d’autres des mauvais points, ne fait qu’aggraver les divisions au sein de la société. Mais ces divisions protègent le système en place, les situations acquises et les dividendes confortables.
Enfin, il faut revenir aux principes fondamentaux de la République, notamment de la République sociale. Le chômage nourrit le racisme et la xénophobie. Mais, en retour, le racisme et la xénophobie servent à masquer le chômage. Le retour à l’emploi dans notre pays est la première urgence. La transmission des savoirs doit redevenir au centre de l’École. La République n’est pas une idée spontanée. Elle est le fruit d’un apprentissage pour que chacun écoute l’autre dans l’espace public et essaye de le comprendre, et pour que chacun respecte la sphère privée de son voisin. La société humaine ne se réduit pas à un marché, où tout se vend, où tout s’achète, où tout doit se transformer en profit immédiat et individuel. La société humaine est diverse. L’intelligence politique est de savoir s’adapter à cette diversité. Ainsi, sachons redonner une vigueur renouvelée à la notion de service public.
Le monde dans lequel nous vivons est certes dangereux. Mais cette dangerosité est moins due aux inévitables extrémistes qu’à l’instrumentation de ces extrémistes par ceux qui veulent que notre attention soit distraite de leurs profits, voire de leurs méfaits. Ils ont besoin de ces dérivatifs que leur donne l’actualité et qu’ils savent exploiter au mieux. À nous de n’être point dupes, à nous de ne pas nous laisser abuser. À nous de savoir montrer comment sont utilisés, amplifiés et déformés des faits réels à des fins de pure propagande. A nous enfin de nous donner les moyens de supprimer les sources qui alimentent les extrémismes.
Heureusement, l’humanité est diverse. Heureusement, il existe sur cette planète diverses civilisations. Heureusement, au cours de l’histoire, ces civilisations ne se sont pas seulement heurtées, elles se sont aussi mutuellement fécondées. Aujourd’hui, grâce aux facilités de transport des êtres humains et de transmission des informations, toutes les civilisations se trouvent simultanément cohabiter, et les zones de contact entre des individus appartenant à des civilisations différentes vont finir par s’étendre à la planète entière. Nous devons savoir gérer cette situation. Être républicain au 21ème siècle, c’est avoir un idéal à proposer au monde dans sa diversité. La République, avec son principe de laïcité et sa dimension sociale, tend vers l’Universel. Au choc des civilisations, répondons par un républicanisme de choc.
Eric Ferrand
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